Portrait d'alumni
Patrick Pérez s'est prêté à l'exercice de l'interview-portrait. Inspirant !
Peux-tu te présenter, présenter ton parcours ?
Ingénieur de formation, je suis tombé dans le grand bain de la recherche en vision artificielle en dernière année d'études. Je n'en suis plus sorti depuis, tout en variant les plaisirs – recherche publique (Inria) et privée (Microsoft, Thomson/Technicolor, Valeo, et maintenant Kyutai), aussi bien en France (Rennes, Paris) qu'à l'étranger (USA et Royaume-Uni). J'ai également eu la chance de vivre plusieurs mutations spectaculaires de ma discipline, branche majeure de ce qu'on appelle désormais l'intelligence artificielle et qu'on répugnait à nommer ainsi il y a encore une dizaine d'années !
Depuis quand occupes-tu le poste de CEO chez Kyutai ? quels seront les prochains défis à relever ?
J'ai rejoint Kyutai au moment de son lancement, en décembre 2023. Kyutai est un objet singulier dans l'écosystème européen de l'IA. Il s'agit d'un laboratoire à but non lucratif, bâti sur de très importantes donations privées, visant à développer une recherche ouverte et de pointe sur les modèles de grande capacité. Ce type de recherche requiert beaucoup d'expertise, de données, de moyens de calcul, de temps et de concentration également. Rassembler toutes ces conditions dans un contexte de compétition internationale forcenée est un défi.
Tu as plusieurs expériences d’expatriation et de collaborations à l’international, que t’ont-elles apportées ?
Sur le plan tant personnel que professionnel, vivre et travailler dans différents pays est évidemment une grande source de richesse. On apprend toutes sortes de choses au contact de nouveaux environnements linguistiques, culturels, éducatifs, académiques. L'enseignement supérieur et la recherche publique, par exemple, sont bien différents de l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique. Ce sont donc des expériences incroyablement formatrices, auxquelles la vie de chercheur donne aisément accès, un vrai privilège.
Peux-tu partager un élément marquant de ton parcours professionnel ou personnel ?
Au sortir de mes études d'ingénieur à Paris, je me suis mis en quête d'une thèse en vision artificielle. Originaire du sud de la France, j'ai considéré des propositions à Sophia Antipolis, mais également, un peu par hasard, d'autres pistes du côté de la Bretagne. C'est finalement la rencontre inspirante avec un sujet scientifique et une équipe du centre Inria de Rennes qui a prévalu sur les considérations climatiques ! Et ma vie s'en est trouvée changée… J'aime cette idée de bifurcations inattendues qui façonnent un parcours.
Dans ton poste actuellement ou dans les précédents, as-tu continué d’interagir avec Inria ? as-tu entretenu des collaborations particulières ?
Bien sûr ! La recherche scientifique est une aventure collective où se nouent des liens forts et des compagnonnages durables en dépit des mouvements de chacun. J’ai ainsi entretenu, au fil de mes étapes dans la recherche privée, nombre de collaborations avec des chercheurs d’Inria (à Rennes, Paris, Lyon ou Grenoble) et d'autres laboratoires académiques (comme Sorbonne Université, TelecomParis ou Max Planck Institute en Allemagne). Le plus souvent, c’est autour de doctorants que les liens se perpétuent. Ces derniers pouvant devenir, par la suite, de futurs collaborateurs.
Te souviens-tu de tes impressions lors de tes premiers mois chez Inria ? C’était quand déjà ?
C’était à la rentrée universitaire 1990, pour le démarrage de ma thèse à Inria Rennes, au cœur encore très vert du campus universitaire de Beaulieu. Nous étions trois doctorants de l’équipe Temis partageant un même bureau et deux stations de travail Unix. Tous les chercheurs du laboratoire se croisaient à la cafétéria et entre les rayonnages de la petite bibliothèque. L’atmosphère à la fois studieuse et détendue m’a tout de suite plu.
En regardant dans le rétroviseur, quel fait ou moment marquant de ton parcours Inria, ou quelle anecdote peux-tu partager avec nous ?
J’ai connu trois périodes distinctes à l’institut, toujours au centre de Rennes. D’abord ma thèse, donc. Puis les années comme jeune chercheur au retour de postdoc. Enfin, comme directeur de recherche après quatre années passées en Angleterre. Beaucoup de moments marquants ont émaillé ce total de treize années, et les souvenirs sont donc nombreux. La ronde joyeuse des soutenances de thèse qui voient les générations de jeunes chercheurs se succéder ; les métamorphoses du centre qui grandit, se ramifie, change de nom plusieurs fois ; la célébration des 40 ans d'Inria avec Michel Serre en invité surprise ; etc. Treize années aussi de rencontres fortes, scientifiques et humaines…
En quoi ton expérience Inria a-t-elle servi ton parcours professionnel ? Était-ce un « booster » ?
C’est chez Inria que j’ai fait mes premières armes de chercheur en informatique, alors que mon bagage initial était davantage du côté des mathématiques appliquées que de celui des ordinateurs, puis mes premières expériences d'encadrement scientifique et de direction d’équipe. Précieux viatique donc pour mes aventures dans la recherche privée. Celles-ci ont par ailleurs été permises par des mises à disposition accordées par l'Institut. Enfin, la réputation internationale d'Inria n'aura cessé de m'accompagner.
Quelles valeurs partages-tu avec Inria ?
L’attachement à une recherche exigeante, visant tant l’avancée des connaissances scientifiques que le progrès technique au service de tous. La rigueur, l’honnêteté, et le partage. Ce dernier point me tient particulièrement à cœur au moment où l’une des technologies les plus puissantes de l’histoire, l’IA, se développe de plus en plus dans le secret de grands laboratoires privés. Il est crucial que des acteurs majeurs du domaine défendent une approche ouverte de la recherche : partage libre des modèles, des codes, de la connaissance. Que ce soit les laboratoires académiques, comme Inria, ou des entités privées. C’est une des missions importantes de Kyutai.
Que conseillerais-tu aux plus jeunes de notre communauté -jeunes, en âge comme en ancienneté- pour dynamiser leur parcours ?
La recherche en informatique est devenue hyper-compétitive, il convient d’être bien armé, avisé, et bien entouré pour y faire carrière et s’y épanouir : identifier les outils mathématiques et informatiques indispensables à son domaine, et s’assurer de leur réelle maîtrise ; sélectionner soigneusement les problèmes auxquels s’attaquer, ni trop niches ni trop rebattus, adaptés à ses goûts et ses moyens ; bien choisir ses encadrants ou collaborateurs, et puis ne pas hésiter à changer de sujets, d’environnement, de pays.
Que saurais-tu leur apporter ?
J’échange volontiers et régulièrement avec des étudiants qui s’interrogent sur la question de s’engager dans une thèse puis dans une carrière de chercheur. Avec des chercheurs du monde académique aussi, qui songent à d’autres voies. Je peux partager la variété de mes expériences, apporter un éclairage que j'espère nuancé et utile sur différentes façons d'arpenter le monde de la recherche.
Et nous, communauté, réseau, que peut-on t’apporter aujourd’hui ? As-tu des attentes particulières ?
Une communauté comme Inria Alumni permettra de tisser des liens entre chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs, investisseurs, décideurs, tous animés d'une même passion pour les sciences et les technologies au cœur du monde digital. A l'heure où les questions urgentes pour l'humanité prennent un relief particulier dans le champs du numérique (soutenabilité énergétique et changement climatique, place des femmes, égalité des chances, qualité de l'information, lien aux autres, libertés individuelles), il est important de mobiliser les idées, les énergies et les moyens de cette belle communauté.
Comment garder le contact ?
Rien de plus simple, un petit mail.
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Voyage au pays de l'IA
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